lundi 6 novembre 2006

Omaha pitch

Le jour des morts s'impose comme une sorte d'impératif catégorique. Que faire ? Lorsqu'on est, comme c'était notre cas, en courte villégiature sur la côte normande, une solution est de pousser à l'ouest jusqu'à la célèbre plage de débarquement que surplombe le cimetière américain, qui n'a rien de marin mais tout de militaire. Toutefois, sous un soleil embrumé, l'endroit dégage un parfum étrange où l'émotion le dispute à un sentiment d'absurdité. 1000 hommes sont morts ici et 2000 ont été blessés ou ont disparu. Un quart des pertes provient de noyade. La forte houle du jour n'a pas permis à la première vague d'être couverte par la trentaine de tanks prévus dont la plupart ont coulé bien avant d'atteindre la plage car largués trop loin. Les quinze bunkers allemands n'ont été touchés par la marine que tard dans la matinée. Si l'on voit l'intérêt stratégique d'Omaha comme tête de pont, on comprend mal le choix d'y faire débarquer des milliers d'hommes à l'assaut sous le feu croisé des bunkers et des batteries allemandes dont celle de Longues en surplomp, quelques kilomètres plus haut. Le génie, les vétérans d'Afrique ont payé le plus lourd tribut. Le carnage d'Omaha est d'autant plus surprenant lorsqu'on sait combien les militaires US accordaient de prix aux vies humaines, souci qui vient tant du protestantisme que du syndrome de la guerre de Sécession. Il est du, malgré la logistique navale, terrestre, et aérienne, à une forme d'impréparation, de difficulté à improviser une réponse aux mauvaises conditions métérologiques du D day. Cette sorte de conscience aveugle en une puissance de feu très supérieure s'est retrouvée au Vietnam, à la Grenade, en Irak plus récemment. L'empire romain, sous sa cuirasse, avait lui aussi ses petites déroutes.

On s'étonne, en cheminant à travers les croix blanches impecablement alignés ou, parfois, les étoiles de David, de rencontrer de façon récurrente des tombes de soldats inconnus (près de 350 sur 10 000 environ). Certains des gisants sont tombés bien avant le débarquement sur divers théâtres d'opération et d'autres, bien plus nombreux, après. On se prend à noter leur Etat de provenance, la date exacte de leur mort, l'absence ou la présence de bouquets, toutes choses qui créent une familiarité. Sur la plage en contrebas, des promeneurs, des chars à voile, des cerf-volants, semblent là au simple prétexte de signifier que la vie continue. Mais un lien est perdu, celui de l'idée même de guerre pour un homme tel que moi né trois ans après la fin de la guerre d'Algérie.