dimanche 7 janvier 2007

L'amertume du salut

Samedi matin, comme un week-end sur deux, je suis avec ma fille au centre équestre. C'est, comme à l'habitude, la première reprise du jour et, il n'est pas rare qu'à notre arrivée dans le box, les lads soient en train de pailler, le jour à peine levé. La reprise (galop 5) commence à 9h et l'exercice porte sur une technique foncière de dressage, l'allongement et la réduction de la foulée aux trois allures, pas, trot, galop. Le temps est gris mais doux et, peu avant la fin, je m'éclipse vers le club house pour glaner un café. A mon retour, à quelques mètres de l'entrée du manège, je vois, comme dans le cadre d'une caméra, une jument trébucher puis heurter le mur d'enceinte avant de s'écrouler sur le flanc. Tout est allé si vite que la cavalière n'a pu se dégager, sa jambe droite restant bloquée sous le ventre de l'animal. Moniteur et cavaliers se précipitent pour la libérer - elle est livide - tandis que je m'approche à mon tour. Un flot de sang gicle alors des oreilles de la jument - dont quelques gouttes aspergent le visage et le torse de sa cavalière encore prisonnière - tandis qu'elle est prise de spasmes violents qui la soulèvent, avant que de retomber, inerte. Sans panique, les cavaliers sortent leurs chevaux le regard fermé. Alertés, d'autres moniteurs entrent et l'on ferme le manège dans un silence de plomb. Chacun retourne au box pour les soins habituels. Quelques minutes après, la rumeur enfle dans l'écurie : rupture d'anévrisme. Air wonder est morte. Cette mort, aussi rare que subite, brutale, violente, teintera tout ce week-end d'une atmosphère, une stimmung disent les allemands, particulière : la vie peut être ôtée comme cela, d'une seconde l'autre. Réversibilité absolue. Et je me prends à penser à Nietzsche, à sa crise, son attaque, de Turin, en 1889, juste après qu'il s'interposa entre un cocher sadique et son cheval martyrisé. Notre lien à la vie est si ténu et, dans le même temps, jamais aussi fort que lorsqu'il est rapporté à la mort, comme un ratio impossible. Tout ce qui vient à nous le rappeler a l'amertume du salut.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

trop beau

2:09 PM  

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