dimanche 21 janvier 2007

Des stabilisateurs automatiques

La notion de "stabilisateurs automatiques" est économique et je l'ai pratiquée, jadis. En bref, la stabilisation automatique est la capacité des finances publiques à atténuer les conséquences des évènements conjoncturels sur l’activité. Lorsque l’économie est en expansion, les impôts augmentent avec la hausse de la consommation et de l’emploi et les prestations sociales baissent avec le recul du chômage. La hausse des impôts et la baisse des prestations conduit alors à une réduction de la croissance. L’augmentation initiale de l’activité est donc réduite par le fonctionnement des stabilisateurs automatiques. La situation est symétrique lorsque l’économie connaît un ralentissement. Ainsi les variations des recettes fiscales permettent-elles d’atténuer les fluctuations de l’activité.
La métaphore peut être filée sur d'autres champs et, en particulier, celui de la géo-politique. Là aussi, tout se passe comme si, moins mécaniquement sans doute, des stabilisateurs automatiques jouent à ce que, face à la montée des périls cette fois, on regagne un équilibre précaire. La dissuasion nucléaire est de ceux-là mais il en est de plus discrets, faisceaux d'intérêts croisés à l'instant t ou bien ancrés dans le temps long de l'Histoire. Ainsi de l'Iran où la Gauche laïque et les réformistes - mollahs compris - sont en passe de réduire l'influence du Président Mahmoud Ahmadinejad avant que de, peut-être, le pousser vers la sortie. L'Iran, si magnifiquement analysée par Michel Foucault en octobre 1978, quelques semaines avant la révolution islamique - voir Dits et Ecrits, p. 688-694 - ne se veut pas voir mise au ban des Nations alors que, conflit (et faiblesse) irakien(ne) oblige, sa position n'a que rarement été aussi dominante dans la région.
Ainsi, pour revenir à l'Economie politique, du Capital lui-même, dont les acteurs n'auront cessé de mettre au point - la crise de 1929 aura porté ses leçons - une série de contrôles, d'instruments de surveillance, bref, un contre-système prudentiel qui lui aura permis dans sa phase de restauration libérale, de surmonter le krach de 1987 comme celui de 2000, la crise financière asiatique de 1997, puis russe, avant celle des hedge-funds. Certes, le moteur même du Capital est le jeu avec la catastrophe, la conjuration des abimes qui le guettent mais il n'en reste pas moins vrai que la mécanique savante des stabilisateurs automatiques ou quasi automatiques ont fait leur preuve.
Un philosophe se saisira peut-être un jour de ce concept de stabilisateurs automatiques pour tenter d'expliquer comment, du plus grand au plus petit, les structures sociales semblent se prévenir d'éclater ou d'entrer en conflit ouvert, pour mieux cerner les contours de ce qu'Adam Smith avait, de façon si rusée et si pauvre à la fois, nommé la main invisible.
Reste que le jeu de stabilisateurs automatiques, où qu'ils soient et quels qu'ils soient, s'ils nous préviennent du naufrage, n'empêchent en rien, du local au global, ce monde, notre monde, d'être déchiré et si profondément injuste. Tout cet arsenal, spontané ou contrôlé, visant à nous épargner le chaos dans une sorte de grand management de l'instabilité, ne poursuit en rien un objectif d'égalité ou même de justice. C'est, me semble-t-il, à ce moment précis de la réflexion que se pose, à l'époque qui est la nôtre, la question du politique. C'est aussi dire que nous repartons de bien bas. C'est surtout dire que, personne ne posant ainsi la question, les réponses nous manquent et que l'organisation du désordre - à moins que ce ne soit l'ordre de la désorganisation - n'a pour l'heure aucun autre ennemi que lui-même. La post-modernité se définirait ainsi que la politique, après avoir fait longtemps système, s'est réduite au supplément d'âme, n'a plus d'essence que spectaculaire et que le système lui-même se veut résolument apolitique. En d'autres termes, nos finalités ne seraient plus qu'internes, via les stabilisateurs automatiques, au détriment d'objectifs externes, justice et liberté. Et rien ne montre encore vraiment que nous souffrions de cette défaite symbolique. Unless ?