dimanche 1 avril 2007

Démocratie (2)

Il est étonnant que ces miscellanées écrites en période pré-électorale n'aient pratiquement jamais rencontré le débat politique hexagonal. J'y vois le signe, pour la première fois me concernant, non d'un sentiment de fatalisme ou d'indifférence mais plutôt le souhait, assumé, de ne pas me laisser gagner par ce gigantesque barnum que j'assimile au mieux à une farce. Un vote nul s'impose, n'en déplaise à la gauche de la gauche, que je connais trop bien pour qu'elle ait ma confiance, et aux "royaliens" agitant le spectre du danger Sarkozy. Que ce danger existât est une hypothèse de travail, encore faudrait-il l'étayer. Mais qu'il fonderait un vote favorable à Royal est un chantage insupportable.

Mon propos, quoi qu'il en soit, n'est pas de délayer ce débat. Ce qui m'intéresse ici est de pointer la crise que vit la démocratie représentative sur l'ensemble du globe - y compris chez les jeunes démocraties de l'est ce qui ne laisse pas d'intriguer, à mois qu'elle ne figure, ici, un écho paradoxal de la crise démocratique de l'empire US qui repose encore, ne l'oublions-pas, sur le putsch juridique de l'élection de Bush.

Cette crise se manifeste sous le terme générique de défiance des élites politiques, qui prend forme, le plus généralement (et dans des caractérisitiques certes différentes) sous les deux espèces de :
- l'abstention - on pourrait parler ici d'une désertion active de la citoyenneté tout comme les émeutes françaises de novembre 2005, proto-politiques, manifestent une forme de participation;
- du populisme (ou de la démagogie).

Cette crise doit naturellement être pensée en lien avec la déconstruction à la fin des années 70 de ce que les théoriciens de la régulation appelait le modèle fordien et, pour aller vite, des corps intermédiaires, notamment syndicaux.

Elle doit l'être aussi en relation avec un changement de culture qui a vu la subversion de la question sociale par les problématiques sociétales, changement induit par le système néo-libéral et sa promotion ad nauseam de l'individualisme (Les particules élémentaires de Houellebecq ont dit cela mieux que quiconque) .

Elle doit l'être, enfin, par l'évolution même de notre système de gouvernance - pour parler novlangue - qui a vu émerger à la fois des pouvoirs locaux (les collectivités dites territoriales) et la superstructure de l'Union européenne, évolution qui a en quelque sorte subverti le pouvoir consacré de l'Etat-Nation, en catimini. Je ne souhaite pas développer davantage ici mais aller straight to the point.

La question de la démocratie me paraît aujourd'hui marquée par quatre tendances simultanées :
- une dérive autoritaire ; le dernier quart de siècle aura été marqué par un tel mouvement du curseur à droite de l'échiquier politique que l'alternative bientôt consacrée (et déjà visible ailleurs) sera celle d'un choix entre centre droit et extrême-droite;
- l'émergence d'une démocratie soluble dans le Marché ; spectacle, sondage, opinion, tout ce que l'on voudra mais, surtout, le processus implacable du passage du politique (assis sur de l'analyse, du conflit, du rapport de forces) à la morale. Au passage, l'on perd toute la critique consacrée par des années de luttes et de réflexion sur l'ensemble des systèmes d'ordre qui, sans cesse naturalisés (ie, d'illégitimes en soi devenant des évidences, voir Bourdieu), gouvernent nos sociétés. Un seul exemple, ici : la lutte contre les discriminations. Le sociologue Bataille souligne combien l'on est passé en une dizaine d'années, sur ce thème, d'une critique au fond, sociale, sociologique, à ce qu'on appelle désormais la promotion de la diversité - qui n'est qu'une façon pour le Kapital d'offrir aux meilleurs de nos quartiers défavorisés une récompense, dans l'oubli de tous les autres - qui n'est que son versant moral voire compassionnel. A noter ici que, nombre de procédures dite de démocratie participative seront, de la même façon, recyclées par le système, les jurys citoyens, pour ne parler que d'eux, devenant des focus ou tasting groups de citoyens, dans le meilleur des mondes du marketing qualititatif. Notre horizon est celui du citoyen-client;
- l'émergence, contradictoire, d'une participation citoyenne construite (mais, alors, pas du tout dans une injonction venue du politique ni dans une logique institutionnelle). Celle-ci est encore balbutiante, peut-être utopique, mais elle s'organise dans un rapport qui est celui de la mutualisation, du réseau, de la co-formation, de la co-décision. Elle n'aura au mieux qu'un pouvoir d'empêchement ou de surveillance mais, ô combien, utile. De son avenir dépendra la survenance ou non d'une quatrième tendance, plus radicale, qui pourrait faire son lit du désespoir ambiant ou du simple sentiment d'impuissance politique :
- le retour de l'action directe ou, en d'autres termes, d'un néo-terrorisme politique.

Il ne s'agit pas ici de jouer les Cassandre - tel Attali dans son dernier opus, même si son analyse n'est pas à rejeter d'un revers de bras - mais de décrire ce qui me semble être les tendances lourdes de notre dernier quart de siècle. La véritable alternative se joue dans ces coordonnées nouvelles et on se souviendra, avec Malraux, qu'elle sera, quoi qu'il en soit, imprévisible. C'est, sans doute là, la seule bonne nouvelle.

3 Comments:

Blogger umda78 said...

Cher JCU,

je partage plutôt le constat sur le croisement de tendances apparemment contradictoires que tu décris.

Je réfute en revanche totalement la nouvelle alternative entre centre-droit et extrème-droite.

Je crois à l'urruption progressive d'une opinion publique continentale européenne, comme elle existe d'une certaine manière dans l'Amérique latine (centrale ET du Sud) ou comme elle ne tardera pas à se développer en Afrique.

Les débats, les choix, les tiraillements, les manifestations de la lutte des classes, prendront des formes diverses, mais la forme "lutte armée" me paraît peu plausible, encore moins souhaitable.

Pour ce qui concerne le vote, bien entendu il ne peut être nul, puisque par définition, ne pas choisir, c'est laisser choisir les autres ...


Qui vous savez ...

3:31 PM  
Blogger zappathoustra said...

Pour ma part, je parlerais plus volontiers de vote blanc que de vote nul (je laisse ce dernier qualificatif à l'offre politique, ou plutôt à la diversité de celle-ci, qui est, de facto, devenue « nulle » au sens strict du terme.
Cette précaution de langage prise, je m’interroge sur le sens, voire la symbolique, que vous semblez donner au vote blanc. Selon vous, « il s’impose » (il s’impose mais n’est pas une alternative classique, parmi toutes les autres ?). Soit, mais pour exprimer quoi ? Un dernier recours, quasi-révolutionnaire, ou au moins protestataire, pour exprimer à nos élites politiques un mécontentement du produit qu’elles nous proposent, puisque, comme vous l’avez si bien dit, ce produit s’inscrit dans un système marketing ? Dans cette perspective, le vote blanc équivaudrait à un « non ».

Or, la définition que l’on nous propose le plus couramment pour expliquer ce qu’est la démocratie, c’est un choix du peuple. Faut-il, à ce stade, rappeler la conception nietzschéenne du choix ? C’est, pour l’enfant, un nouveau commencement, un premier mouvement, un « oui » sacré, créateur de valeurs nouvelles, expression de sa volonté que l’esprit veut à présent. Bien sûr, il aura fallu passer, au préalable, par le stade du lion qui doit se libérer, opposer un « non » sacré au devoir.

En ce qui nous concerne, citoyens du XXIéme siècle, nous avons déjà eu l’occasion, à notre corps défendant, de passer par ce stade du « non ». Il s’agissait alors de combattre la « peste brune », de « sauver la république », mais certes pas de faire un choix.

Une fois de plus, nous sommes, comme le rappelle JCU, soumis au même chantage de DEVOIR dire « non ». Dès lors, ces injonctions à répétition devenant insupportables, et même contre-productives (cf. le 29 mai 2005), pourquoi le vote blanc ne pourrait-il pas être considéré comme un « oui », comme un véritable choix démocratique ? Même si le système actuel les assimile, par besoin de continuer à croire encore à la pertinence de ce système et de ses mécanismes, le vote blanc ne signifie pas abstention : il est l’expression d’un véritable choix et non un désintéressement pathologique de la vie citoyenne du pays.
Que les gourous de la bien-pensance arrêtent d’agiter leurs épouvantails, de se draper dans une morale judéo-chrétienne culpabilisante, de croire, avec une arrogance effarante, qu’ils détiennent la Vérité, et ouvrent enfin leurs esprits étriqués à tous les « jeux des possibles ».

Pour finir, je citerais un passage du précédent roman de José Saramago « L’Aveuglement », chroniqué par Ramon Chao : « Les démocraties occidentales ne sont que les façades politiques du pouvoir économique. Une façade avec des couleurs, des drapeaux, des discours interminables sur la sacro-sainte démocratie. Nous vivons une époque où nous pouvons discuter de tout. A une exception près : la démocratie. Elle est là, c’est un dogme acquis. Ne pas toucher, comme dans les musées. Les élections sont devenues la représentation d’une comédie absurde, honteuse, où la participation du citoyen est très faible, et dans laquelle les gouvernements représentent les commissaires politiques du pouvoir économique. »

Bien à vous.

Z.

11:13 AM  
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