dimanche 29 avril 2007

Pour Royal, donc

Cet esprit de dissidence que j'évoquais quelques jours avant les résultats du 1er tour des Présidentielles françaises, peut-être est-il allé se nicher dans le cortex de François Bayrou et Ségolène Royal qui auront donné, dans cet entre-deux tours, le meilleur débat de cet élection (peut-être d'abord parce que c'était, enfin, un débat), initiative qui aura rencontré l'hostilité quasi-générale des professionnels de la politique. Après les monologues et les réponses aux panels de citoyens, après le déferlement sondagier, après les clips, cet esprit de dissidence, aussi modeste soit-il, tenait ici à ne plus prêter l'oreille aux appareils et aux spin-doctors de notre démocratie d'opinion, et à recouvrer une liberté de ton et de parole, riche, contradictoire, et réaliste. Ce qui fut fait. Je salue ici ce pragmatisme de circonstances, qui constitue à mon sens la seule voie d'une repolitisation positive d'un débat enfin précis quant aux objectifs et aux principes, et attentif aux marges réelles de manoeuvre qui sont les nôtres dans cet environnement sous contraintes. Ce pas de côté, encore une fois modeste mais rebelle, de Bayrou et Royal, vis à vis des canons actuels de la communication politique, me parait devoir être encouragé. En l'occurrence, il m'aura déterminé à voter pour Ségolène Royal au second tour.

Un simple mot quant aux résultats de ce premier tour, qui tente d'échapper aux zanalyses de tous poils. Jamais élection ne fut à ce point hantée par la précédente à tel point qu'elle peut s'interpréter comme son exact contrepied. Je parlerai même de transfert négatif - même si le sens en est ici détourné - pour dire combien elle a relevé d'une psychanalyse de la majorité silencieuse qui exigerait un Carl Jung (celui de "l'inconscient collectif") pour nous en donner toutes les clés. Mais enfin : une participation portée de 71 à 85% ; un vote groupé sur les (trois) candidats de gouvernement passant de (gauche plurielle+Chirac) 50 à 75% des voix. En soi, un petit séisme. Le seul élément de transfert d'une élection à l'autre, de défiance envers les appareils, se sera cette fois porté sur la personnalité d'un démocrate-chrétien, François Bayrou, ce qui en change radicalement la nature. Enfin, pour continuer à filer la parabole psychanalytique, reste le contre-transfert de 2002 (celui que l'analyste ne doit jamais déporter sur son patient) que la Gauche toute entière aura fait peser - avec l'ensemble des média - sur le corps électoral dans un grand déversement de culpabilité : les mauvais politiques sont d'abord de mauvais médecins de la psyché. D'où cette participation aussi massive que vaine.

Le second tour opposera donc bien, comme annoncé par une tendance générale à nos démocraties atones, une candidate de centre gauche à celui d'une droite démagogique et autoritaire, supplétive de la régulation économique et sociale du turbo capitalisme financier. Cette alternative désolera les tenants d'une illusion lyrique d'un combat gauche/droite, mais elle est consacrée comme fait politique et même social au vu de la participation. Il y a quelque chose d'affolant à cela car, en cas de victoire, Ségolène Royal n'aurait aucun droit à l'erreur, sous peine de voir le pôle droitier décomplexé - dont la Pologne donne un bel exemple - s'étoffer encore davantage ; en cas de défaite, la France s'offrira en cobaye d'un néo césarisme corporatiste et clientéliste, démagogique et populiste aussi loin du libéralisme politique républicain qu'il est proche du laissez-faire économique, ce qui constituerait une inflexion politique majeure.

Je sais, on pourrait parier sur la politique du pire : mais l'espoir est vain de voir se cristalliser une hypothétique nouvelle gauche face au sarkozisme de gouvernement. Il est vain car la gauche auto-consacrée de gauche est d'abord un champ de ruines idéologiques, avant même de l'être dans les urnes : étoile morte dont les rayons venus des trente glorieuses nous parviennent encore. En revanche, maladroitement peut-être, Ségolène Royal aura, en fin de campagne, retrouvé le fil trop longtemps perdu de sa stratégie initiale d'une refondation de l'action publique, des institutions, autour d'une nouvelle génération et de nouvelles coordonnées d'analyse et d'élaboration d'un projet politique. Elle aura retrouvé son esprit dissident. Ce qui, pour l'heure, suffira amplement à se déterminer.