dimanche 9 septembre 2007

Studium et punctum


Après trois mois de silence aussi volontaire que la servitude, back to business. Les rivages et montagnes corses quittés, la question de recouvrer une forme d'hygiène mentale se repose presque immédiatement et appelle ce curieux antidote de l'écriture du dimanche, à la diable, car il faut bien redoubler de malignité pour supporter la vie urbaine. Son obscénité n'éclate jamais aussi fortement qu'à nos regards décillés par le paradis corse, l'exubérance de sa nature, le sublime très kantien de ses paysages qui laissent parfois le souffle coupé, la douceur du climat, la légère apreté de ses vins, la sympathie bourrue de ses natifs. Obscénité ? Celle des affiches, des écrans, des sollicitations innombrables du marketing sauvage, soudain violemment réincorporée.
J'en viens même à penser l'obscénité comme le concept opératoire de notre post-modernité - et même d'ethos de celle-ci. Il faudrait un nouveau grand vivant tel que Foucault pour explorer les archives et la généalogie culturelle de cette profusion des signes, de cette prolifération contemporaine du sens sur le même plan unidimensionnel, sans hiérarchie, sans autre signification que lui-même (tautologique), dans une forme de transparence qui n'a plus rien de surréaliste mais tout de pornographique, dans l'excroissance sans cause, l'emballement des effets. Hypertélique et métaleptique obscénité pour reprendre les adjectifs baudrillardiens. En attendant, obscénité du politique dans son omniprésence cocainée, de l'actualité souveraine dans sa stérile et narcotique prodigalité, de la Finance dans ses spasmes spéculatifs irrationnels si bien entérinés par la "gouvernance" internationale, du Capital ivre de ses déséquilibres, que sais-je encore, obscenité des discours stratégiques d'élites auto-centrés, des masses amorphes, obscénité des images, des icônes du paganisme marchand, de cette religio sans trascendance et immanence dont le catéchisme diffus et incolore nous irradie sans cesse dans une sorte de Tchernobyl de confort précaire, cette douce catastrophe dont les cadavres sont nos consciences en déréliction.
A ce concept opératoire, qu'opposer d'autre que cette dissidence déjà si largement évoquée dans ce blog, comme concept actif d'hygiène ? Dissidence de la lecture - "l'usage du monde" ou "le poisson-scorpion" de l'immense Nicolas Bouvier dont la langue aussi admirable que maîtrisée charrie a contrario une intimité de vocabulaire avec le monde - dissidence de la pensée - Sloterdijk toujours qui donne, ou presque, toutes les clés - dissidence d'une fausse nonchalance avertie, dissidence de la chair, de la musique, de l'émoi.
Barthes, dans son essai lumineux sur la photographie "La chambre claire", interroge justement son impossibilité à l'appréhender dans une grille d'analyse, une sémiologie singulière, et s'en remet à son émoi. Ainsi sépare-t-il ce qu'il nomme le studium, "sorte d'investissement général, empressé certes, mais sans acuité particulière" qui relève "d'un affect moyen, presque d'un dressage", du punctum, qui "vient casser (ou scander) le studium : "piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure - et aussi coup de dés". En l'occurrence, dit Barthes, "le punctum d'une photo, c'est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne)". Et, puisque que c'est d'image qu'il s'agit ici, je tiens à dire que la réception que nous avions de cinéastes tels que Bergman et Antonioni - tous deux libérés de cette dictature de la story (pour reprendre le mot de Kundera sur la Littérature) qui a presque entièrement envahi le cinéma contemporain - avait, elle aussi, partie liée au punctum. Reste que, et l'on finira ainsi ce sunday post de rentrée, qu'il nous faudra obstinément, tout en ménageant un nécéssaire art du studium, laisser venir à nous tous les puncti que ce monde et cette vie nous envoient sans relâche dans l'Illusion première qui les portent, eux et nous. Bonne semaine.