dimanche 27 mai 2007

Blog must go on ?


Mes quelques lecteurs, et autant d'amis, n'entendent pas - d'après leurs mails ou témoignages - que j'en termine ainsi ou, plutôt, que j'en termine ici avec ce blog ou cette blog production. Cela, entre Ascension et Pentecôte, ne va pas sans me flatter mais on comprendra là aussi que mon vieil ego ne soit plus aussi réactif que jadis à ces marques d'amitié, tout esprit saint mis à part.

Mais revenons aux raisons de cet arrêt subit du commentaire, de cette rupture de flux. Ils tiennent, et je ne m'en suis pas assez expliqué, à une question de circonstances autant qu'à celle de l'écriture de ces miscellanées.

Les circonstances, d'abord. Soyons clair, l'éléction de Sarkozy n'y est que pour peu de choses. Lorsque j'ai commencé les "sunday posts" en septembre, l'élection présidentielle n'était qu'un point à l'horizon et la question du politique était pour moi à ce point devenue suspendue - on parlera plutôt d'état stationnaire du politique ou de phase comateuse sous perpétuelle assistance publicitaire et médiatique, la gravité étant perdue comme dans ces dessins animés de Tex Avery où les personnages pédalent longuement dans le vide avant que de s'effondrer sous le principe de réalité, principe qui, justement, fait désormais défaut dans l'économie du politique - que ces miscellanées n'ont que très peu traversé cette préoccupation. En d'autres termes, l'élection de Sarkozy, ce désormais manager de la France inc. aux allures de parvenu, est à mon sens un non-événement tant elle était prévisible. Reste qu'elle venait clore un cycle au sens où la politique française entrait ainsi de plain pied dans la norme de toutes les démocraties européennes et occidentales. En ce sens, l'on pouvait s'arrêter là.

Quant à l'angle d'attaque de l'écriture, maintenant. Ces miscellanées n'ont jamais vraiment choisi leur mode d'exercice. Ni parti-pris de frivolité ou d'obssession esthétique récurrente - on pensera au Journal de Kafka et à sa façon de noter l'entrée dans la guerre de 14 (de mémoire) : "Ce matin, la Russie a déclaré la guerre à l'Allemagne ; après-midi : piscine" - ni analyse infra ou méta-politique, qui contribuerait, aujourd'hui, à surveiller le sarkozisme et à soutenir toute faculté d'empêchement de ses excès. Dans l'impuissance à écrire dans le spectre ouvert entre une pseudo-résistance et une fuite libertine, il fallait, là encore, s'arrêter, l'essentiel ayant été dit, finalement, dans ce puzzle de posts écrits à la diable.

Pourquoi cela continuerait-il, ainsi ? Nulle raison, autre que celle d'une discipline d'écriture un rien narcissique. Mais je ne le suis pas assez pour cela. Alors ? C'était compter sans ces six journées passées à New York, qui ont ébranlé ma résolution. Cela tient sans doute à ce rapport d'une si franche altérité, pour moi européen, que l'Amérique entretient avec la réalité. Baudrillard, là encore, écrivait dans son génial livre "Amérique" combien son territoire était celui de l'utopie réalisée et de la mise en forme opérationnelle (sans passer par la case analytique) des concepts européens. Il y a là quelque chose de si tellement réjouissant qu'elle fait de la modernité, de notre modernité, une forme roborative. Que l'on se comprenne bien : je ne voue aucun culte à l'Amérique, à ses croyances religieuses, à son racisme latent, à son messianisme fondateur de pionniers et historique d'hyper-puissance ; mais je loue sa posture cool, je jouis de sa non-contamination par les concepts du 19ième siècle qui nous fondent, nous autres, (en premier lieu celui de l'histoire !) et qui n'ont pas traversé l'Atlantique. On ne mesure pas combien il est bon de se sentir, dans les rues de NYC, dans son siècle, dans son temps, dans une espèce d'absolue candeur et de foi en l'avenir. Et, c'est parce que je veux rester sur ce sentiment, conserver ce feeling, que je continue ce blog. Ne serait-ce que pour évoquer cette brutale réversion du sens, la frénésie verticale de New York - à laquelle répond l'explosion horizontale de la côte ouest -, cette way of life aussi brutale que douce, qui nous extirpe de tout sentiment de culpabilité intellectuelle, philosophique, avec le monde tel qu'il va.

A dimanche. Blog must go on.

dimanche 6 mai 2007

Cap au pire et clap de fin

Jean Baudrillard ne décodera pas cette élection présidentielle où la France se sera donnée, dans une participation sans précédent depuis un quart de siècle, un nouveau chef local à l'internationale libérale dans sa via americana morale, chrétienne, répressive, inégalitaire, anti-étatique et, bien sûr, atlantiste. Comme Baudrillard lui-même aura pu le dire pour d'autres grands penseurs français, sa propre disparition n'est pas fortuite : il n'aurait eu, en effet, rien à dire de l'élection de ce tout petit et médiocre démagogue (1) tant elle célèbre, paradoxalement, la montée conjointe d'un civisme béat et la perte (on pourrait parler ici de collapse) du politique. Faux mystère des masses silencieuses qui se sont senties comme convoquées aux urnes (besoin qui n'est qu'un pur produit médiatique de production d'un électeur devenu un consommateur comme un autre - il existe tout un appareil pour cela, une industrie de l'injonction participative comme il y a une industrie du décervelage par le divertissement inepte) et vraie bêtise, fondamentale bêtise, de ces mêmes masses panélisées (et bientôt pénalisées). La France entre définitivement dans le rang démocratique post-moderne. Alleluia.

Rien à dire, donc, qu'il n'ait déjà dit : fin entérinée du clivage gauche-droite, déport du politique vers la morale, sauf, peut-être, ceci : nous aurions atteint un nouveau stade de la valeur.

Que l'on se souvienne : à la valeur d'usage, à la valeur d'échange (celle de Marx et de la société de production), Baudrillard aura ajouté un troisième stade, structural, de la valeur, celui du code, celui du signe (la société de consommation) puis un quatrième, celui de la valeur flottante, virale et métaleptique (la société de communication et de la finance dérégulée).

Que serait ce cinquième stade de la valeur que, paix à lui, Baudrillard, n'aura pas eu à introduire? Le stade tautologique de la valeur. La valeur n'est plus que de la valeur et réciproquement. C'est parce qu'elle est de la valeur qu'elle est de la valeur. Auto-légitimée par sa production même, son flux, sa publicisation. Ainsi de la valeur "travail" vantée tant par Royal que par Sarkozy. Le stade tautologique de la valeur répond à une société de connexion (non plus la mass communication de Mac Luhan avec son village global mais, celle du peer to peer, du one to one, ce mode cool, encore, de l'interaction, mais pour combien de temps ?) où, par définition, plus rien n'agit mais où tout inter-agit. L'interaction devant ici s'entendre comme la perte définitive de tout fondement, de toute gravité mais, aussi, (et c'est cela qui est nouveau) de toute séduction intersticielle, de toute illusion de rapprochement, conflictuel ou harmonieux, des termes entre eux. Fin des polarités dans l'assomption morale de vérités sans contradictions.

A ce cinquième stade hypothétique de la valeur (qui inclut naturellement les précedents), à cette société de connexion, il est encore bien trop tôt pour savoir que répondre, s'il est même possible d'y répondre quoi que ce soit. Le pari de la dissidence est plus intime que stratégique, on en conviendra. Acte d'hygiène solitaire, même si je n'oublie pas les anciennes communautés de complicité ni, encore moins d'ailleurs, celles qui sont à venir dans ce monde vécu comme un extérieur indifférent (Sloterdijk). Reste que ce quelque chose qui agit symboliquement en creux des contradictions perdues, ce potens de réversibilité, n'a pas encore trouvé sa forme ni son nom. Baudrillard sera mort avec son secret et il nous appartiendra peut-être de ruminer activement le paradoxe d'être tout entier plongé dans le système, sans marges désormais, et de rechercher les voies d'une désertion, d'une active dissidence.

On comprendra ainsi aisément que ce blog s'arrêtât là.

(1) dont l'insigne mérite aura tout de même d'avoir réussi, dans une sorte de fusion culturelle très gramsciste (ô le pauvre destin du marxisme d'avoir tant alimenté les suppôts de Kapital), la synthèse du bonapartisme second-empire (réhabilité anciennement par Séguin, lui-même ex-mentor de Guaino et de Fillon, CQFD) et du néo-conservatisme américain. Belle leçon de choses. Mais Sarkozy, ce Bush/Badinguet connaîtra lui aussi son Sedan ou son Bagdad, au choix.