dimanche 28 janvier 2007

De Platini à Guazzini, ou l'histoire d'un naufrage

A l'heure où, sans doute trop tard mais qui sait ?, le plus grand joueur de football français de tous les temps - Platini ne s'appréciait d'ailleurs jamais autant que dans un stade car sa vista géniale avait plus d'envergure que toutes les caméras et, en cela, il était encore pré-télégénique tandis que Zidane et ses vains tricotages sur un 1 m2 l'était pleinement - s'est hissé à la présidence de l'UEFA avec un programme alter-footbalistique qui ne peut que réjouir (anti-fric, anti-corruption, anti-traffic, anti-"arrêt Bossman", et pro-jeu !) je dois confesser ici que mon plaisir de spectateur placé en haut des gradins du Stade de France pour le match de rugby au sommet entre les deux Stade (Français et Toulousain) a été en partie gâché par le barnum de M. Max Guazzini, ci-devant Président du Stade Français Paris. Passons sur la techno tonitruante et les majorettes d'avant match, encore que, mais arrêtons nous sur la scénographie qui précédât le coup d'envoi. Un immense ballon rose juché sur un chariot est tracté d'une diagonale du stade au centre du terrain. Bon. Mais voilà qu'il s'ouvre, telle une huitre pas fraîche, pour nous faire sans doute admirer la dernière miss France en date, assise à l'intérieur sur un sofa et arborant niaisement un véritable ballon ovale, avant que de se refermer puis de sortir à l'opposé dans un concert de drapeaux roses agités par le public, digne de la fête à Neuneu, de Dysney et de la gay pride réunis. Tout cela dans un tintamarre techno assorti. On pense alors rentrer dans le match mais le délire guazzinesque est sans limites : à chaque pénalité marquée, un jingle effroyable nous écrase les tympans, idem pour les essais. Et, la fin de chaque mi-temps est célébrée, le mot est juste, par un enregistrement de cloche d'église comme venue de la basilique toute proche, cependant que les petits drapeaux roses s'agitent encore et encore dans une sorte de revival gay d'inauguration de JO. Que le match lui-même fut à peu près à la hauteur de ce que l'on pouvait en attendre - même si un arbitrage "à domicile" a privé les Toulousains d'une victoire largement méritée, la qualité de leurs trois-quarts, sans commune mesure, s'étant concrétisée par deux essais - tient à la fois du miracle et, presque, de l'anecdote, tant on se demande combien des 80 000 personnes présentes appréciaient autant le jeu que la mécanique de leurs holas.
Reste que, ce soir là, la nouvelle société du spectacle n'a pas été loin de mettre le rugby au pas, ce qui n'est pas un moindre exploit quand on connait sa force et sa passion viriles. Quel Platini viendra le sauver de ce naufrage programmé, telle était la question que je me posais une fois sorti de ce happening où il ne se passe résolument rien, sauf l'honneur d'un sport que ses joueurs ont servi de la manière la plus évidente qui soit : en étant authentiques.

dimanche 21 janvier 2007

Des stabilisateurs automatiques

La notion de "stabilisateurs automatiques" est économique et je l'ai pratiquée, jadis. En bref, la stabilisation automatique est la capacité des finances publiques à atténuer les conséquences des évènements conjoncturels sur l’activité. Lorsque l’économie est en expansion, les impôts augmentent avec la hausse de la consommation et de l’emploi et les prestations sociales baissent avec le recul du chômage. La hausse des impôts et la baisse des prestations conduit alors à une réduction de la croissance. L’augmentation initiale de l’activité est donc réduite par le fonctionnement des stabilisateurs automatiques. La situation est symétrique lorsque l’économie connaît un ralentissement. Ainsi les variations des recettes fiscales permettent-elles d’atténuer les fluctuations de l’activité.
La métaphore peut être filée sur d'autres champs et, en particulier, celui de la géo-politique. Là aussi, tout se passe comme si, moins mécaniquement sans doute, des stabilisateurs automatiques jouent à ce que, face à la montée des périls cette fois, on regagne un équilibre précaire. La dissuasion nucléaire est de ceux-là mais il en est de plus discrets, faisceaux d'intérêts croisés à l'instant t ou bien ancrés dans le temps long de l'Histoire. Ainsi de l'Iran où la Gauche laïque et les réformistes - mollahs compris - sont en passe de réduire l'influence du Président Mahmoud Ahmadinejad avant que de, peut-être, le pousser vers la sortie. L'Iran, si magnifiquement analysée par Michel Foucault en octobre 1978, quelques semaines avant la révolution islamique - voir Dits et Ecrits, p. 688-694 - ne se veut pas voir mise au ban des Nations alors que, conflit (et faiblesse) irakien(ne) oblige, sa position n'a que rarement été aussi dominante dans la région.
Ainsi, pour revenir à l'Economie politique, du Capital lui-même, dont les acteurs n'auront cessé de mettre au point - la crise de 1929 aura porté ses leçons - une série de contrôles, d'instruments de surveillance, bref, un contre-système prudentiel qui lui aura permis dans sa phase de restauration libérale, de surmonter le krach de 1987 comme celui de 2000, la crise financière asiatique de 1997, puis russe, avant celle des hedge-funds. Certes, le moteur même du Capital est le jeu avec la catastrophe, la conjuration des abimes qui le guettent mais il n'en reste pas moins vrai que la mécanique savante des stabilisateurs automatiques ou quasi automatiques ont fait leur preuve.
Un philosophe se saisira peut-être un jour de ce concept de stabilisateurs automatiques pour tenter d'expliquer comment, du plus grand au plus petit, les structures sociales semblent se prévenir d'éclater ou d'entrer en conflit ouvert, pour mieux cerner les contours de ce qu'Adam Smith avait, de façon si rusée et si pauvre à la fois, nommé la main invisible.
Reste que le jeu de stabilisateurs automatiques, où qu'ils soient et quels qu'ils soient, s'ils nous préviennent du naufrage, n'empêchent en rien, du local au global, ce monde, notre monde, d'être déchiré et si profondément injuste. Tout cet arsenal, spontané ou contrôlé, visant à nous épargner le chaos dans une sorte de grand management de l'instabilité, ne poursuit en rien un objectif d'égalité ou même de justice. C'est, me semble-t-il, à ce moment précis de la réflexion que se pose, à l'époque qui est la nôtre, la question du politique. C'est aussi dire que nous repartons de bien bas. C'est surtout dire que, personne ne posant ainsi la question, les réponses nous manquent et que l'organisation du désordre - à moins que ce ne soit l'ordre de la désorganisation - n'a pour l'heure aucun autre ennemi que lui-même. La post-modernité se définirait ainsi que la politique, après avoir fait longtemps système, s'est réduite au supplément d'âme, n'a plus d'essence que spectaculaire et que le système lui-même se veut résolument apolitique. En d'autres termes, nos finalités ne seraient plus qu'internes, via les stabilisateurs automatiques, au détriment d'objectifs externes, justice et liberté. Et rien ne montre encore vraiment que nous souffrions de cette défaite symbolique. Unless ?

dimanche 14 janvier 2007

De l'époque comme époché

Les étapes méthodologiques de la phénoménologie de Husserl sont peu ou prou les suivantes :
1. L'époché : il s'agit tout à la fois d'un acte de retrait et de mise en suspension permettant une observation désintéressée du monde.
2. La "réduction phénoménologique" : elle permet le passage de la simple donnée naturelle à son sens comme phénomène.
3. La "constitution" : elle consiste en une redécouverte du monde comme horizon de sens, comme unité de sens, mais une unité que l'on constitue soi-même en tant que conscience ouverte sur le monde.
Si je parle de cela, ce n'est pas simplement par snobisme culturel mais parce que j'y trouve une homologie avec notre époque. En quoi ? En cela que tout se passe comme si l'acte d'époché était bien l'alpha de notre être à ce monde mais, aussi, son oméga. La suspension est totale, tout flotte (je parle des valeurs), sans fondement, tout fait phénomène (ou événement), sans discernement. En d'autres termes, il n'y a rien à suivre derrière l'époché, ni réappropriation du sens comme phénomène, ni retour de soi comme conscience. Im-politiques, im-personnelles, voilà les catégories actuelles. On comprend ainsi mieux comment l'abstention, sous toutes ses formes, est devenu le dernier refuge de la contradiction à ce système. Je posais déjà cette question, avec l'aide majeure de Baudrillard, dans un rebond de Libération en 1994 autour de la figure du SDF. Et ce n'est pas l'activisme bavard et médiatique des modernes Don Quichotte qui me démentira. Le seul dernier véritable droit opposable est bien celui de n'échanger symboliquement avec le Social que sa propre mort au Social.

mercredi 10 janvier 2007

Quizz

Qui a écrit "Le chemin vers la vérité est tellement long que seule la fulgurance (la foudre ou encore le Witz dirait Freud) a une chance, non de l'atteindre, mais de s'en rapprocher. La Science, la raison, tout cet appareil analytique que l'on peut "mobiliser", comme disent les universitaires, ne font au mieux qu'éclairer, que baliser ce chemin et, toute vérité alors approchée se paie du prix de nouveaux doutes ou de nouveaux abîmes... Ainsi, seule la fulgurance du court-circuit touche-t-elle à l'asymptote de la vérité" ?

Réponse : l'éternel Rimbaud (le Nietzsche du Gai Savoir ?) qui sommeille en nous.

dimanche 7 janvier 2007

L'amertume du salut

Samedi matin, comme un week-end sur deux, je suis avec ma fille au centre équestre. C'est, comme à l'habitude, la première reprise du jour et, il n'est pas rare qu'à notre arrivée dans le box, les lads soient en train de pailler, le jour à peine levé. La reprise (galop 5) commence à 9h et l'exercice porte sur une technique foncière de dressage, l'allongement et la réduction de la foulée aux trois allures, pas, trot, galop. Le temps est gris mais doux et, peu avant la fin, je m'éclipse vers le club house pour glaner un café. A mon retour, à quelques mètres de l'entrée du manège, je vois, comme dans le cadre d'une caméra, une jument trébucher puis heurter le mur d'enceinte avant de s'écrouler sur le flanc. Tout est allé si vite que la cavalière n'a pu se dégager, sa jambe droite restant bloquée sous le ventre de l'animal. Moniteur et cavaliers se précipitent pour la libérer - elle est livide - tandis que je m'approche à mon tour. Un flot de sang gicle alors des oreilles de la jument - dont quelques gouttes aspergent le visage et le torse de sa cavalière encore prisonnière - tandis qu'elle est prise de spasmes violents qui la soulèvent, avant que de retomber, inerte. Sans panique, les cavaliers sortent leurs chevaux le regard fermé. Alertés, d'autres moniteurs entrent et l'on ferme le manège dans un silence de plomb. Chacun retourne au box pour les soins habituels. Quelques minutes après, la rumeur enfle dans l'écurie : rupture d'anévrisme. Air wonder est morte. Cette mort, aussi rare que subite, brutale, violente, teintera tout ce week-end d'une atmosphère, une stimmung disent les allemands, particulière : la vie peut être ôtée comme cela, d'une seconde l'autre. Réversibilité absolue. Et je me prends à penser à Nietzsche, à sa crise, son attaque, de Turin, en 1889, juste après qu'il s'interposa entre un cocher sadique et son cheval martyrisé. Notre lien à la vie est si ténu et, dans le même temps, jamais aussi fort que lorsqu'il est rapporté à la mort, comme un ratio impossible. Tout ce qui vient à nous le rappeler a l'amertume du salut.

mardi 2 janvier 2007

We shall overcome

Le troisième millénaire - chrétien - a donc l'âge de raison. A moins que ce ne soit une histoire d'espionnage ou de nostalgie mao, le grand bond 007.
Pour commencer, je me sens obligé de citer MY, qui m'a écrit peu avant Noël le commentaire suivant : "En fait je trouve que l'activité blog a un côté impudique. (...). C'est un peu comme un peep show de mots (je ne suis pas certain de l'écriture de « peep »)".
D'abord, je tiens à le rassurer quant à l'écriture de "peep" : c'est la bonne. "To peep at" signifie en anglais "reluquer". Ensuite, je m'étonne justement de cette réluctance au blog sous prétexte d'impudeur d'autant que MY se réclamait - jadis, certes - du surréalisme et, plus précisémént, d'André Breton, qui théorisa la notion de "maison de verre". Rien à cacher et, pour le reste, je crois avoir défendu dans ce blog même mes propres réticences à ce do-it-yourself medium. Je renvoie d'une part à ma contribution du 7 octobre "Du blog comme aporie" et, d'autre part, à ce double devoir de réserve qui me tient intuiti personae respectueux de mon entourage et de mon intimité - ce que Malraux appelait le "petit tas de secrets" - et de mon chancelant statut de fonctionnaire. Quoi qu'il en soit, l'écriture est toujours une sorte de maximisation sous contraintes comme disent les économistes marginalistes. Reste que je salue la fulgurante assertion de MY selon laquelle "La blogosphère m'intéresse quand même mais comme une antiquité à venir" !
Et, puisque nous en sommes au stade des résolutions, je m'engage ici à donner à ce blog, jusque là sporadique, un rythme qui soit à la mesure de ma traversée des évènements. Je m'y attacherai pour peu qu'une définition de cette traversée et, surtout, de l'évènement en lui-même, se fasse jour. Wait and see.
Un mea culpa s'impose avant l'épiphanie. Il concerne Rosanvallon et son dernier livre, la contre démocratie, que j'ai lâchement assassiné au début de ce blog avant même de l'avoir lu. A tort puisqu'il s'agit là d'une exploration singulière - vingt ans de conversion libérale n'auront donc pas suffi au bonhomme, est-ce un signe ? - du champ de la démocratie, hors, justement, la stricte norme libérale de la délégation et de la représentation, sous les trois espèces du pouvoir de surveillance, de la souveraineté d'empêchement et, enfin, du peuple-juge. J'y reviendrai plus longuement mais cela me conduit à Ségolène Royal, démocratie participative oblige. Là encore, j'ai été assez lapidaire. J'avais en tête un schéma simple, à savoir que la candidate du PS était l'aboutissement "socialiste" de la subversion de la question sociale par la préoccupation dite sociétale. J'en suis toujours là sauf que deux arguments d'autorité m'ont été récemment opposés par un politiste, sans permis de conduire, que je reconduisais récemment à son domicile. Un, elle serait la principale opposante de Sarkozy. Et, ledit Sarkozy, n'est pas de la race des candidats de droite que nos étranges institutions ont porté en hérault jusque là, de par le seul fait que rien ne le limite, qu'il est littéralement sans bornes. Dangereux ? Il me fait bel et bien l'effet de ce que les anciens grecs appelaient les sycophantes. Deux, elle draine avec elle un changement de génération - Montebourg, Peillon, Assouline, ... - que j'appelle de mes voeux depuis longtemps. Cela suffira-t-il à me retenir de déposer un bulletin NUL dans l'isoloir ? Ou de m'abstenir de participer à cette mascarade, cette farce, cette mauvaise blague de ladite démocratie d'opinion à son acmé ? Je partage sans doute définitivement avec Orwell cette "horreur du politique" si bien décrite par Simon Leys dans un ouvrage de 1984 très récemment republié.
Reste que, après quelques jours dans la campagne toulousaine - et deux belles escapades dans la ville rose sous un soleil radieux - l'année ne pouvait pas mieux commencer qu'avec ce concert de Stéphane Belmondo au Sunside - avec Eric Legnini au piano, quelles couleurs de clavier ! - en hommage à la musique de Stevie Wonder. D'une année l'autre en ternaire, ce tempo afro-américain qui n'est rien d'autre que miraculeux. L'universel prend des méandres dont je ne verrai pas l'embouchure mais dont j'aurai senti le corps : joie et souffrances.
Chacune de ces phrases mériteraient de longs développements plutôt que ces ellipses. Mais telle est la loi du fragment dont on espère seulement qu'elle rappelle l'essentiel. Mais, puisqu'il s'agit, pour nous profanes, d'un nouveau début, j'ai envie de commencer l'année comme je l'avais finie, en rappelant cette fois à nous les lyrics de ce qui fut l'hymne de tous les laissés pour compte de l'empire américain ( que nous sommes tous peu ou prou ?):
We shall overcome
We shall overcome
We shall overcome some day
Oh deep in my heart
I do believe
We shall overcome some day
We'll walk hand in hand
We'll walk hand in hand
We'll walk hand in hand some day
We shall all be free
We shall all be free
We shall all be free some day
We are not afraid
We are not afraid
We are not afraid today
We are not alone
We are not alone
We are not alone today
The whole wide world around
The whole wide world around
The whole wide world around some day
We shall overcome
We shall overcome
We shall overcome some day
Bonne année à toutes et tous !